Monténégro – Le dernier Eldorado méditerranéen

August 15, 2008   | Shtypi / Mediji, Turizmi / Turizam

Au Monténégro, ex-république yougoslave, les années de guerre sont oubliées. Touristes, stars du show-biz, oligarques russes et investisseurs sérieux envahissent la côte à la recherche de soleil… et de gros profits.
Miracle Beach. La dernière-née des plages de Budva porte bien son nom. Pas seulement parce qu’une intervention divine a sans doute été nécessaire pour faire entrer les jeunes filles qui s’y promènent dans leur short de quelques centimètres carrés. Mais surtout parce qu’il y a encore un an cette plage branchée, où l’on se presse le jour pour accéder à un matelas et le soir pour se trémousser sur la piste de la discothèque en plein air, n’était qu’un tas de sable sans eau ni électricité…
Aujourd’hui, des centaines de parasols s’ordonnent face à la mer turquoise, où au loin paressent les yachts ventrus des milliardaires Bernie Ecclestone, grand argentier de la formule 1, et Flavio Briatore, play-boy italien patron de l’écurie Renault de F1, et le monstre des mers (114 mètres de longueur) du Russe Roman Abramovitch.

Roman Abramovitch

Roman Abramovitch

Champagne et Nik-la bière locale-, livrés jusqu’à votre transat par des serveurs attentionnés, coulent à flots. Sur le parking les Lamborghini, Ferrari, Porsche et 4 x 4 de luxe ont remplacé les « pots de yaourt » de la marque Yugo que l’on croisait jusque-là sur les routes embouteillées de la côte.
« Ce n’est pas encore Saint-Tropez, mais le glamour fait son retour dans la baie » , constate Jérôme Lautier, directeur commercial du Splendid, le seul 5-étoiles du pays, où est censée se dérouler la partie de poker du dernier James Bond, « Casino Royale », en réalité tournée en République tchèque. Situé à la sortie de Budva, cet établissement de dix étages dont les baies vitrées scintillent entre montagnes et Adriatique n’a donc pas hébergé les courbes d’Eva Green, mais il a en revanche vu passer les mollets du footballeur italien Francesco Totti en juin. Et, en octobre, c’est Madonna qui occupera la suite présidentielle de 380 mètres carrés, avec piscine et Jacuzzi.

Madonna

Madonna

Prix affiché : 7 000 euros. Très prisée des hommes d’affaires russes, qui profitent de l’héliport situé sur le toit de l’hôtel pour s’offrir un petit séjour express à la mer, la prestigieuse suite est déjà réservée pour 70 % de la saison estivale !
Si l’on excepte la terrasse du Splendid, c’est dans les eaux transparentes des ports que la pêche aux rich and famous est le plus fructueuse. Outre la marina de Budva, le port de Kotor, ville médiévale classée au patrimoine mondial de l’Unesco, située face à des falaises escarpées de plusieurs centaines de mètres de hauteur, est très recherché, car il peut abriter des navires de gros tonnage. L’oligarque Oleg Deripaska, première fortune de Russie et propriétaire (entre autres) d’une partie des mines d’aluminium et de bauxite du Monténégro, y a croisé l’an passé l’émir qatarien Sheikh Hamad bin Khalifa al-Thani, de passage sur son yacht de 80 mètres, le « Constellation ».
Repérés cette année : l’acteur Jean Reno, sur le même bateau que son ami Lenny Kravitz, en concert à Budva le 5 août, Jelena Jancovic, numéro un mondial du tennis féminin et… John Mac Enroe.

Budva

Budva

L’ancien sportif au tempérament de feu serait à la recherche d’une maison sur les hauteurs de Kotor, là où ses compatriotes les acteurs Michael Douglas et Catherine Zeta-Jones ont passé leurs vacances l’an dernier et où le maire de Moscou, Iouri Loujkov, possède déjà une superbe propriété. « Imaginez des décors à couper le souffle-montagnes qui plongent dans la mer, petites criques et villages médiévaux-sans les embouteillages, les plages bondées et les touristes en bob : les gens à la recherche d’authenticité, qu’ils soient célèbres ou non, adorent. Ils ont l’impression de retrouver la Côte d’Azur d’il y a quarante ans » , s’enthousiasme Lena Calic, responsable de l’agence immobilière Resido Montenegro à Tivat, petite bourgade située entre Budva et Kotor.

Montenegro

Montenegro

Ex-« Club Med » du pays.
« La côte monténégrine n’a pourtant pas toujours bénéficié de cette image haut de gamme » , rappelle Sasa Radovic, directeur de l’Office national du tourisme, qui nous reçoit en costume clair dans ses bureaux de Podgorica, la capitale du pays. « Du temps de l’ex-fédération yougoslave, le Monténégro était la destination populaire, le “Club Med” du pays. Les apparatchiks, eux, préféraient la Croatie. » Seule exception : l’îlot de Sveti Stefan, à quelques kilomètres au sud de Budva. Dans les années 60, le maréchal Tito repère ce rocher posé sur l’eau, à une centaine de mètres du rivage. Il fait transformer le petit village de pêcheurs en hôtel de luxe avec casino, suites et piscine. Le Tout-Hollywood accourt : Sophia Loren y a sa maison ; Richard Burton et Elizabeth Taylor s’y disputent ; le prince Charles et lady Di, en lune de miel dans l’Adriatique, prévoient d’y faire un arrêt, mais y renoncent finalement… par crainte des paparazzis.
A la fin des années 80, le top-modèle allemand Claudia Schiffer est l’une des dernières célébrités à y

Claudia Schiffer

Claudia Schiffer

séjourner. L’éclatement tumultueux de la Yougoslavie fait fuir les touristes. L’hôtel a beau rester ouvert pendant les guerres des Balkans, de 1991 à 2000, il n’est plus fréquenté que par quelques dignitaires du régime. De même, Budva est complètement désertée. De 331 000 en 1989, le nombre de visiteurs étrangers reçus par le pays tombe à moins de 95 000 en 1992. Il faudra attendre l’année 2006, qui scelle officiellement le divorce entre le Monténégro et la Serbie, pour que le tourisme redevienne un objectif national.

 James Bond in Montenegro

James Bond in Montenegro

Si la Croatie a fait le choix, quelques années plus tôt, du tourisme de masse (le pays accueille plus de 10 millions de visiteurs par an, pour une population d’à peine 4,7 millions), le Monténégro mise sur le haut de gamme. « Au moment de l’indépendance, nous avons clairement décidé de privilégier un tourisme de qualité, plus compatible avec la petite taille du pays (13 812 km2, moins de deux fois la Corse !) et avec son engagement écologique qu’un développement à l’espagnole ou à la marocaine » , explique Sasa Radovic. Premier pays au monde à avoir inscrit la protection de l’environnement dans sa Constitution en 1992, le Monténégro refuse de scalper ses montagnes pour y construire des usines à touristes. Il se rêve en destination « nature » pour individus à fort pouvoir d’achat.

Plazhi i Ulqinit

Copakabana Beach Ulcinj

Problème : les hôtels massifs hérités de l’ère soviétique et la pauvreté des infrastructures sont de véritables repoussoirs pour une clientèle occidentale qui recherche la beauté des paysages… mais aussi un minimum de confort. « La plupart des visiteurs viennent de Russie et des républiques issues de l’ex-Yougoslavie. De très bons clients, qui dépensent sans compter mais qui sont souvent volages, observe Ivan Nikolic, propriétaire du Bound, bar-restaurant lounge flambant neuf de Budva. Ils viennent une année au Monténégro, et partent la suivante en Turquie ou en Tunisie. » Pour hisser son industrie au niveau des standards internationaux et éviter le risque d’un monotourisme « local », l’Etat monténégrin, dont les caisses sont vides, a décidé de faire appel à des investisseurs étrangers. « Au départ, ces derniers ont traîné les pieds en raison de la mauvaise image du pays. Aujourd’hui, ce sont eux qui nous courtisent. Nous avons l’embarras du choix » , se réjouit Radovic.
Sous les galets, les euros.

Hôtel Splendid

Hôtel Splendid

Effectivement, les yachts amarrés dans le port de Budva et le lobby de l’hôtel Splendid ont davantage l’air de salles de réunion pour businessmen affairés que de lieux de villégiature pour touristes désoeuvrés. Le costume y côtoie le bermuda ; l’ordinateur portable, la serviette de plage. Rien de surprenant à cela. Comme Bernard Arnault (LVMH) et Nathaniel Rothschild, co-investisseurs du projet Porto Montenegro (lire ci-contre), bon nombre d’hommes d’affaires voient le petit Etat balkanique comme le dernier eldorado de Méditerranée…
Sous les galets, les euros ? Les Russes en sont persuadés, à l’instar de Viatcheslav Leibman, associé du groupe Mirax, l’une des plus grandes sociétés de promotion immobilière moscovite. « La position géographique idéale du pays, rattachée à l’Europe en dépit d’une grande proximité culturelle avec la Russie, sa nature idyllique combinée à la quasi-inexistence d’établissements très haut de gamme me font penser qu’il s’agit d’un des pays offrant les meilleures perspectives de rendement dans les années à venir », estime-t-il.
Premier investisseur étranger du pays, Mirax construit un immense complexe touristique à la sortie de Budva. Outre la plage et la discothèque Miracle, cet ensemble de 94 000 mètres carrés comprendra des logements et un hôtel de luxe dont la maquette fait penser au fameux Burj el-Arab, l’hôtel 7-étoiles de Dubai. Malgré leur prix élevé-entre 6 000 et 8 000 euros le mètre carré-, les premiers appartements, livrables en 2009, sont déjà réservés à 60 %. De quoi faire saliver le milliardaire Roman Abramovitch, également très présent sur place…

Grand Plage de Ulcinj 13km

Grand Plage de Ulcinj 13km

Propriétaire d’une impressionnante villa entre les villages de Bar et Ulcinj, au sud de Budva, le propriétaire du club de football de Chelsea envisage de se porter acquéreur de la plage de Velika (Grand Beach), qui sera mise en concession par le gouvernement dans un mois. Longue d’une dizaine de kilomètres et couverte de sable fin, cette superbe plage est également convoitée par des investisseurs émiriens et hongrois, qui ont déjà promis d’investir plusieurs millions pour son aménagement.
Aux mains de la chaîne hôtelière asiatique Amanresorts, spécialisée dans la location de villas à une clientèle ultra-élitiste, le projet de rénovation de l’île de Sveti Stefan semble, lui, en panne. A l’entrée du village, les grilles de fer forgé sont cadenassées et un panneau visant à décourager les téméraires indique « en travaux, entrée interdite » . Explication officielle, fournie par un employé de la mairie : les infrastructures sont en plus mauvais état que prévu, et les travaux ont pris deux ans de retard. Une version qui ne satisfait pas les fins connaisseurs de la « géopolitique monténégrine ». Pour eux, des dissensions entre le propriétaire de l’île, un Bulgare (le groupe Aman est uniquement exploitant) et son partenaire local seraient à l’origine du blocage.
Pas question en effet de se lancer dans un quelconque projet d’envergure sur le sol monténégrin sans y associer un ou plusieurs businessmen autochtones, seule garantie de protection contre la mafia locale. Pour avoir dérogé à cette règle, les investisseurs russes de l’hôtel Splendid ont été victimes de trois explosions au début des travaux. Quant à l’enquêteur qui cherchait à faire la lumière sur l’affaire, il a été tué d’une balle dans la tête. « Ici, il est difficile d’avoir des initiatives individuelles, les gros poissons s’y opposent, ils veulent leur part du gâteau » , souligne Jérôme Lautier.
Foncier à prix d’or.
Cela n’empêche pas les particuliers de tirer eux aussi parti de la manne touristique. D’après le dernier recensement du quotidien Vijesti , le nombre de millionnaires en euros à Budva était de 242 pour 10 000 habitants en février dernier. Cette inflation soudaine du nombre de grandes fortunes-qui vaut à la ville le surnom de « Koweït des Balkans »-s’explique par la courbe affolante des prix de l’immobilier. « Avant 2006, il fallait compter 600-700 euros le mètre carré pour un appartement avec vue mer. Aujourd’hui, les prix sont plus proches de 2 500 euros le mètre carré, et peuvent atteindre 3 500-4 000 euros-les prix de la Costa del Sol-à Kotor ou Sveti Stefan » , observe Lena Calic, de l’agence Resido Montenegro. Les vendeurs, des locaux qui cèdent à prix d’or le foncier qu’ils ont récupéré au lendemain de l’effondrement du régime communiste, sont ravis de ce jackpot inespéré. Quant aux acheteurs, ils sont persuadés de faire l’affaire du siècle. Arnaud, orthodontiste en province, n’a pas hésité à revendre la maison « loi Périssol » qu’il possédait en France pour investir dans deux appartements et un terrain avec vue sur la baie sur la commune de Kotor. Objectif : construire une maison sur le terrain et céder l’ensemble avec une belle plus-value (imposée à 2 % seulement au Montenegro). Même calcul pour Biljana Roncevic, une Anglaise d’origine serbe qui a quitté Greenwich pour venir s’installer à Tivat, où elle possède un terrain sur lequel elle fait construire six maisons. « Il n’y a pas beaucoup de pays d’Europe où l’on peut investir 10 euros aujourd’hui et en récupérer 20 dans six mois », souligne la blonde financière. Au pays des monastères encastrés dans la montagne, pas de doute : les habitants croient tous dur comme fer aux miracles…
Boom touristique
Avec une croissance de plus de 10% par an, l’industrie touristique monténégrine est, d’après le World Travel & Tourism Council (WTTC), celle qui croît le plus vite au monde.
Chiffres 2007
– 480 millions d’euros de revenus issus du tourisme (+39% par rapport à 2006).
– 1100 500 visiteurs étrangers, parmi lesquels 37% de Serbes, 2% de ressortissants de l’Union européenne (dont 30 300 Français), 12% de Russes, 11% issus des anciennes répubilques de l’ex-Yougoslavie.

Marina Tivat

Marina Tivat

La plus grande marina de Méditerranée
Dès l’an prochain, Tivat, discrète petite bourgade de la baie de Kotor, devrait devenir le point de ralliement de tous les palaces flottants de Méditerranée. Le milliardaire canadien Peter Munk, propriétaire de la compagnie minière Barrick Gold, a en effet pour projet de transformer l’Arsenal de Tivat-ancienne base navale d’ex-Yougoslavie dont il a obtenu la concession en 2004-en une gigantesque marina spécialisée dans l’accueil des superyachts de plus de 25 mètres. Allié à un consortium d’investisseurs, parmi lesquels les Français Bernard Arnault et Nathaniel Rothschild, ainsi que le fonds américain Carlyle (représenté par Olivier Sarkozy, le demi-frère du président), Munk veut faire de Porto Montenegro un nouveau Monte-Carlo offrant aux riches navigateurs et à leurs équipages tous les services dont ils peuvent avoir besoin : 800 anneaux, un atelier de réparation, un hôtel six étoiles, 1 000 appartement de standing, des boutiques de luxe, un golf… et même un accès aux pistes de ski du nord du pays.
Le Point.fr