Les Balkans Occidentaux : en route vers l’Union européenne (4/7 Le Monténégro)

February 6, 2008   | Anketë / Anketa

Le Monténégro : Un petit devenu grand

28 janvier 2008, Par Roxane COMPAGNE (Traductrice), Sören KEIL

Depuis le tournage du dernier James Bond au Monténégro, le petit pays de la côte adriatique fait parler de lui. Le Monténégro était l’une des six républiques de l’ex-Yougoslavie, la dernière à se désolidariser de la Serbie, nation-mère yougoslave, et à déclarer son indépendance en 2006. Pour quelles raisons le Monténégro n’a-t-il pas proclamé son indépendance au début des années 90, alors que l’empire de Tito se déchirait dans le sang ? Au lieu de cela, le Monténégro a combattu au côtés de la Serbie pour conserver la Yougoslavie : pourquoi ? En quoi la situation était-elle différente, comparé à 2006 ? Qu’est-ce qui avait changé en 2006 ? Quelles ont été les raisons de la dissolution de la (con-)fédération serbo-monténégrine ? Quels sont les rapports du Monténégro avec les institutions européennes ?

Le Monténégro et l’éclatement de la Yougoslavie

Au début des années 90, alors que l’on assistait à l’éclatement de l’état multinational yougoslave, le Monténégro se positionnait à contre-courant en ne proclamant pas son indépendance. Au lieu de cela, le Monténégro choisit de combattre aux côtés de la Serbie pour la conservation de la Yougoslavie, ainsi que pour la sécession des républiques serbes autoproclamées de Croatie et de Bosnie. Dans ce contexte, c’étaient en tout premier lieu les élites politiques qui manifestaient cette idéologie pro-serbe et pro-yougoslave. Pourtant, Slobodan Milosevic finit par établir un homme de confiance au Monténégro, comme il l’avait fait pour évincer les provinces autonomes de Vojvodina et du Kosovo.

Monténégro : descriptif et chronologie du rapprochement avec l’UE

Situation géographique : Sud de l’Europe, frontières avec l’Albanie, la Serbie, la Croatie, la Bosnie-Hérzégovine et l’Adriatique
Capitale : Podgorica (anciennement Titograd)
Nombre d’habitants : 675 000, dont 43% de Monténégrins, 32% de Serbes, 13% de Bosniaques et de « musulmans d’origine ethnique », 7 % d’Albanais, 1 % de Croates, environ 3% de Roms
Produit intérieur brut par habitant : 2474 euros (2006)
Etapes du rapprochement UE-Monténégro depuis 2005
octobre 2005 : l’UE ouvre des négociations avec la Serbie et le Monténégro en vue de la signature d’un accord de stabilisation et d’association (ASA)
3 mai 2006 : les négociations avec la Serbie et le Monténégro sont suspendues, en raison du manque de coopération du gouvernement serbe avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY)
21 mai 2006 : le référendum sur l’indépendance du Monténégro est remporté par le camp du « oui » à 55,5%
3 juin 2006 : le parlement monténégrin proclame l’indépendance du Monténégro
12 juin 2006 : le Conseil européen se dit prêt à développer de nouvelles relations avec un Monténégro souverain et indépendant. Suivent des reconnaissances bilatérales de la part des Etats membres. La Commission déclare son intention d’obtenir un nouveau mandat lui permettant de poursuivre des négociations séparées avec le Monténégro en vue d’un accord de stabilisation et d’association (ASA).
15 octobre 2007 : Signature de l’ASA à Luxembourg
Source : Commission européenne

Pour autant, il ne faut pas oublier que le Monténégro a brièvement soutenu les efforts de la communauté internationale pour la paix dans les Balkans. Ce soutien, associé à une aide financière accordée par le ministre des Affaires étrangères italien, finit cependant par cesser en raison de la pression serbe. Les troupes monténégrines continuèrent donc à participer aux guerres dans les anciennes républiques balkaniques et au Kosovo. Cette fidélité du Monténégro à la Serbie peut également être expliquée par sa composition ethnique. En effet, outre le fait que de nombreux Serbes vivent au Monténégro, les Monténégrins eux-mêmes se sentent étroitement liés à la Serbie. Une dominance de la Serbie en Yougoslavie ne représentait pas de danger pour eux : ils ne se reconnaissaient ni dans le nationalisme ethnique des Croates, ni dans le désir des ethnies non-serbes de Bosnie de s’affranchir de la dictature de Milosevic et de créer un Etat indépendant.

Le Monténégro : son parcours jusqu’à l’indépendance

Après la chute de Slobodan Milosevic le 5 octobre 2000, le pouvoir fut repris par les forces démocratiques de Kostunica : la question des relations entre la Serbie et le Monténégro fut l’objet d’une discussion ouverte. Les bases de ces relations avaient besoin d’être redéfinies : l’égalité de droits et la volonté commune d’adhérer à l’Union européenne devaient constituer les piliers centraux d’un nouveau partenariat. Après la dissolution de la République fédérale de Yougoslavie, la communauté étatique Serbie-Monténégro fut instaurée en 2003. En analysant des évolutions comparables, telles que la dévolution au Royaume-Uni, il devient clair que l’autonomie considérable dont a joui le Monténégro à parti de 2002 a joué un rôle décisif dans son parcours vers l’indépendance.

A cela s’ajoutent les développements de l’affaire Radko Mladic, ancien officier serbe recherché par le tribunal de la Haye en tant que criminel de guerre, résidant très probablement en Serbie. Le manque de coopération de la Serbie dans cette affaire a provoqué la suspension en mai 2006 des négociations entre la Serbie-Monténégro et l’UE concernant la signature d’un accord de stabilisation et d’association. Cela n’a pas manqué de renforcer les velléités indépendantistes des Monténégrins qui ont finalement voté pour l’indépendance le 21 mai 2006.

Foule en liesse le jour de l’indépendance du Monténégro

Le 21 mai 2006, 55,5% de la population en droit de voter s’est prononcée en faveur de l’indépendance.

Les experts proposent plusieurs explications au fait que la Serbie ait toléré l’indépendance du Monténégro sans opposer de véritable résistance. Les uns évoquent l’importance de la commission Badinter, qui dès 1992 a attribué le droit à l’indépendance à toutes les anciennes républiques yougoslaves, d’autres mettent l’accent sur les problèmes internes en Serbie après la chute de Milosevic, le lent processus de démocratisation du pays et la volonté pacifique affichée par le nouveau gouvernement démocratique à Belgrade. Le gouvernement serbe affirma que le statut du Monténégro en tant qu’ancienne République en Yougoslavie avait compté dans le „oui“ serbe à l’indépendance de Podgorica. Ce statut reste toujours accordé au Kosovo, qui n’était pourtant qu’une „province autonome“ de Yougoslavie mais qui avait néanmoins pratiquement les mêmes droits qu’une République – avant que Milosevic ne prive le Kosovo de ces droits dans les années 80.

Evolution depuis 2006

Le Monténégro avance en direction de l’Union européenne à une vitesse étonnante. Une grande réforme touche en ce moment même l’administration et la justice, afin d’améliorer leur efficacité et de se conformer aux standards européens. La stabilité politique et une situation géographique favorable sur la côte adriatique ont févorisé une situation économique florissante, dont personne ne met en doute la capacité à générer d’autres développements positifs.

Une vue de la côte adriatique au Monténégro

Le tourisme représente un secteur-clé de l’économie du Monténégro.

Le Monténégro a cherché à se rapprocher le plus vite possible non seulement de l’Union européenne mais également de ses voisins. Des négociations sur le paiement de réparations ont été ouvertes avec la Croatie et la Bosnie, les élites monténégrines ont par ailleurs à maintes reprises présenté leurs excuses pour avoir pris part aux conflits sanglants dans les Balkans. Enfin, le Monténégro travaille en étroite collaboration avec l’Union européenne, les Etats-Unis et le Conseil de l’Europe à la réforme et la redéfinition de certains piliers de l’Etat de droit. L’entrée dans l’UE et l’adhésion à l’OTAN sont les deux priorités essentielles de la politique du Monténégro, ce qui en fait un pays à part dans les Balkans.

La Croatie n’a pas toujours pas réglé le problème de la protection des minorités en ce qui concerne les Serbes-croates. En Macédoine, depuis le changement de gouvernement en faveur du Parti Conservateur, on ne parle que des nouvelles tensions ethniques entre la majorité macédonienne et la minorité albanaise. Pour finir, l’Albanie, qui ne connaît pourtant aucun conflit ethnique, est au bord de la crise politique. Pour sa part, le Monténégro a décidé de mettre la barre en direction de l’Europe. Il n’est donc pas étonnant que le commissaire européen chargé de l’élargissement Olli Rehn fasse l’éloge de ce petit pays, dont la politique est profondément déterminée par sa volonté d’adhérer à l’UE.

Rapprochement réussi : le président monténégrin Milo Djukanovic et le commissaire européen chargé de l’élargissement Olli Rehn

L’accord de stabilisation et d’association entre l’UE et le Monténégro a été signé le 15 octobre 2007. Le Monténégro a l’intention de déposer une demande d’adhésion dès le premier semestre 2008.

Néanmoins, le gouvernement de Podgorica a encore beaucoup de chemin à parcourir : d’une part, le Monténégro reste miné par les “grands problèmes des Balkan” tels que la corruption, le crime organisé et l’inefficacité du système administratif, d’autre part les discussions et débats politiques ont tendance à faire traîner les choses en longueur. Par exemple, le gouvernement et l’opposition ont jusqu’à présent été incapables de se mettre d’accord sur une nouvelle constitution pour le pays, condition sine qua non d’une éventuelle intégration du Monténégro au Conseil de l’Europe.

Récemment, les élites politiques ont adopté une feuille de route prévoyant d’adhérer à l’UE en 2012. Si l’UE a d’ici là réussi à surmonter son “blues de l’élargissement”, rien n’empêchera que l’objectif soit atteint. En tout cas, ce n’est ni la volonté des Monténégrins d’entrer dans l’Union, ni celle de travailler dur aux réformes nécessaires à un Etat moderne et démocratique qui feront défaut. Certains autres pays des Balkans devraient en prendre de la graine.