Monténégro : l’opposition se déchire avant la présidentielle du 6 avril

February 6, 2008   | Politika

Lorsque les Monténégrins se rendront aux urnes le 6 avril 2008 pour élire leur nouveau Président, il n’y aura pas de bataille décisive entre un candidat fort défendant le bilan de la coalition actuellement au pouvoir et un prétendant crédible à la Présidence issu d’une opposition unie.

On risque plutôt de voir les principaux chefs des partis d’opposition se déchirer entre eux pour accéder au second tour, avant d’affronter le faible candidat du Parti démocratique des socialistes (DPS) au pouvoir.

Si les militants de base du DPS avaient eu gain de cause, c’est le leader indiscutable du parti, Milo Djukanovi? qui aurait été désigné candidat à la Présidence. Mais les hautes instances du parti en ont décidé autrement et ont choisi le chef de l’État sortant, Filip Vujanovi?, qui est aussi l’un des vice-présidents du DPS.

Les attentes des électeurs de l’opposition, avides de changements, ont également été déçues par les dirigeants de leurs partis respectifs. En effet, les principales formations de l’opposition n’ont pas fait beaucoup d’efforts pour s’entendre sur un candidat unique.

La recherche d’un compromis sur une candidature commune, menée sans grand enthousiasme, a lamentablement échoué. Exactement comme il y a cinq ans, lorsque le peu charismatique Filip Vujanovic avait remporté le scrutin présidentiel, quand le Monténégro faisait encore partie de l’Union d’États avec la Serbie.

Aussi, en l’absence de candidature commune, la plupart des chefs de partis de l’opposition semblent s’être mis en tête qu’ils représentaient les meilleurs candidats à la Présidence. Deux d’entre eux ont d’ailleurs déjà annoncé qu’ils comptaient briguer les suffrages des électeurs.

Il s’agit de Nebojša Medojevi?, le chef du Mouvement pour les changements (PzP), le plus important parti d’opposition, et d’Andrija Mandi?, président du Parti populaire serbe (SNS), principal parti de la coalition Liste serbe (SL). Ensemble, les partis membres de la LS ont plus de députéés au Parlement que le PzP.

La rumeur veut aussi que Srdjan Mili?, chef du Parti socialiste populaire (SNP), serait sur le point de se jeter dans l’arène. Jusqu’à récemment, le SNP tentait de convaincre les autres partis d’opposition de soutenir Miodrag Leki? – ancien ministre des Affaires étrangères du Monténégro au début des années 1990 et plus tard ambassadeur de la Fédération yougoslave à Rome – comme candidat unique.

Mais, de la même façon que l’opposition n’a pas réussi à adopter une stratégie commune en 2007 lors des discussions concernant la nouvelle Constitution, elle a encore raté une occasion de se rassembler autour d’une candidature unique qui aurait pourtant eu de bonnes chances de pouvoir battre Filip Vujanovi?.

Rappelons que pendant les dernières phases des pourparlers constitutionnels, le PzP avait laissé tomber les autres partis d’opposition et conclu un accord avec le gouvernement. Cela avait facilité l’adoption de la Constitution au Parlement avec la majorité des deux tiers requise. Le chef du PzP, Nebojša Medojevi? avait alors été qualifié de « Judas de l’opposition monténégrine ».

Milo Djukanovic bientôt Premier ministre ?

Outre l’échec de l’opposition à désigner un seul candidat, le fait qu’on s’attende à ce que le chef de l’opposition qui sortira vainqueur du premier tour – peu importe qui – ne parvienne pas à rassembler les divers groupes d’opposition a aussi eu un impact sur la décision du DPS. La faiblesse apparente de l’opposition a été la raison principale du choix de Filip Vujanovi? au lieu de Milo Djukanovi?.

Que ce dernier reste à l’écart de la course ne signifie pas pour autant que le DPS soit serein face à l’issue du vote. On spécule, en effet, sur la possibilité que Milo Djukanovic revienne au poste de Premier ministre et que le gouvernement soit remanié si nécessaire, en pleine campagne présidentielle s’il le faut.

Lors de sa dernière rencontre avec les ambassadeurs de l’UE au Monténégro, Milo Djukanovi? n’a pas écarté cette éventualité, même s’il a exprimé des réticences à l’idée d’exercer à nouveau les fonctions de Premier ministre.

Bien entendu, ces rumeurs peuvent faire partie d’une stratégie pré-électorale. Par exemple, suggérer aux électeurs que s’ils élisent un Président « faible », ils auront en contrepartie un Premier ministre « fort » en la personne de Milo Djukanovi?.

Filip Vujanovi? tentera donc de conserver son poste, qu’il avait obtenu en mai 2003 après qu’une nouvelle loi sur l’élection présidentielle ait supprimé l’exigence d’un seuil minimal de participation de 50% pour valider un scrutin. En effet, lors des deux scrutins précédents, boycottés par l’opposition, Filip Vujanovi? n’était pas parvenu se faire élire en raison du trop faible taux de participation.

Critiques, doutes et frustrations au SDP

Le Président se lancera pourtant dans cette campagne sur un fond de critiques venant de son propre camp, plus précisément d’un parti secondaire de la coalition au pouvoir, le Parti social-démocrate (SDP). Le chef de ce parti, Ranko Krivokapi?, actuel président du Parlement, aurait espéré devenir le premier Président du Monténégro indépendant, du moins si l’on en croit certains médias.

Les sociaux-démocrates espéraient un plus grande volonté de coopérer de la part de leur principal partenaire au sein de la coalition, lorsqu’est venu le temps de décider du candidat présidentiel. Comme cela ne s’est pas produit, ils ont donc déclaré qu’ils ne soutiendraient pas la candidature de Filip Vujanovi? tant que celui-ci n’aura pas obtenu pas leur appui officiel en venant « s’expliquer » devant la direction de leur parti.

Certains membres déçus du SDP pourraient pencher en faveur de Nebojša Medojevi? car, parmi les formations de l’opposition, le PzP se rapproche le plus des positions des sociaux-démocrates.

En 2007, Nebojša Medojevi? avait d’ailleurs appelé les sociaux-démocrates et les « éléments sains du DPS au pouvoir » à discuter avec l’opposition afin de former un gouvernement d’union nationale, capable « d’arrêter la progression du clan réuni autour de Milo Djukanovic et de ses intérêts personnels ».

Nebojša Medojevi?, seul candidat sérieux de l’opposition ?

Parmi tous les candidats de l’opposition, Nebojša Medojevi? est perçu comme le seul en mesure de déloger Filip Vujanovi?. Une enquête réalisée en septembre 2007 par la firme de sondage Damar, basée à Podgorica, indiquait que Nebojša Medojevi? battrait Filip Vujanovi? au second tour, alors que tous les autres candidats issus de l’opposition ne franchiraient pas le premier tour.

Toutefois, Andrija Mandi?, rival direct de Nebojša Medojevi? met en doute les résultats de ce sondage et assure que le chef du PzP ne représente pas une personnalité crédible dans l’opposition. Andrija Mandi? a récemment reproché au PzP de « s’aligner lui-même sur le régime », en ajoutant que l’unique véritable opposition au pays était « l’ancien bloc politique en faveur du maintien de l’union étatique avec la Serbie, au sein duquel la Liste serbe représente la force la plus importante ».

Contrairement à l’opposition nationale serbe, le PzP se présente comme un parti moderne et pro-européen fondé sur des valeurs civiques. En réponse aux critiques d’Andrija Mandi?, le parti a déclaré que l’avenir du Monténégro ne résidait pas dans les tentatives de raviver les divisions ethniques qui prévalaient avant le référendum de 2006 sur l’indépendance du pays. À l’époque, les Serbes du Monténégro s’étaient opposés à la fin de l’union étatique avec la Serbie, à l’inverse de la majorité des Monténégrins et des autres minorités qui avaient voté pour la sécession.

Y aura-t-il un second tour ?

Selon plusieurs observateurs, l’hypothèse que trois candidats de l’opposition se présentent les uns contre les autres laisserait le champ libre à une victoire de Filip Vujanovi? dès le premier tour. Ils estiment aussi que cela pourrait même décourager les partisans de l’opposition, qui pourraient choisir de rester chez eux le jour du vote.

Certains, dans l’opposition, veulent pourtant croire que, bien au contraire, en présentant plusieurs candidats au premier tour, il sera plus facile de mobiliser la totalité de leur électorat et de mesurer avec précision le poids relatif de chaque parti d’opposition.

Une autre décision cruciale que l’opposition n’a pas prise, c’est ce qu’elle devra faire si Filip Vujanovic ne réussit pas à recueillir plus de 50% des voix dès le premier tour. Le plus grand silence règne autour du compromis pré-électoral au sein de l’opposition concernant un second tour, tel que celui proposé par Zoran Žiži?, dont le petit Parti pour l’unité démocratique appartient à la Liste serbe.

L’idée de Zoran Žiži? a plus de chances d’être examinée une fois le premier tour passé, avec pour scénario probable un face-à-face entre Filip Vujanovi? et Nebojša Medojevi? ou Andrija Mandi?. Pour le moment, il est difficile d’imaginer que les partisans d’Andrija Mandic accordent leur soutien à Nebojša Medojevi? au second tour, sans parler du scénario inverse.

Mais ces divisions qui traversent l’opposition pourraient être surmontées si la moindre brèche apparaissait sur la façade monolithique de la coalition au pouvoir. Cela pourrait provoquer des élections parlementaires anticipées. Et le parti d’opposition dont le candidat aurait percé au second tour de la présidentielle aurait toutes les raisons d’y voir la situation idéale pour lancer une campagne victorieuse aux législatives.

Traduit par Stéphane Surprenant

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